Pierre Vidal, le musicien
Pierre Vidal nous a quittés le 5 février 2010.
Il restera à jamais un éclair dans la nuit pour ceux qui ont les oreilles et le coeur pour entendre.
Il a été le seul organiste-musicien à s'interroger sur la nature singulière de l'orgue et à mettre en oeuvre les moyens indispensables pour faire de la machine-orgue un instrument au service de la musique, musique destinée aux coeurs des êtres.
Vous pouvez l'écouter ici commenter l'Ouverture de la Suite en Si mineur de J.S. Bach, interprétée par Willem Mengelberg.
In Memoriam : sur cette page, vous trouverez quelques témoignages et articles rédigés à l'occasion de sa disparition.
Une biographie de Pierre Vidal n'offrirait rien de saillant : toute sa vie est guidée, habitée par la seule musique.
On notera cependant, à peine sorti de l'enfance, son vif attrait pour l'orgue ; puis de brèves et peu fructueuses rencontres avec quelques professeurs du Conservatoire de Paris ; quelques conversations substantielles avec Karl Münchinger ; décisifs : les récitals de l'immense pianiste Alexandre Braïlowsky dans l'immédiat après-guerre, complétés par ses enregistrements des années 1930 et l'audition par le disque de Wilhelm Furtwängler, Willem Mengelberg et Edwin Fischer.
Significative est son immense culture musicale soutenue par une mémoire sans faille et une curiosité critique sans cesse à l'écoute. Une écoute de tout son être, capable de discerner une figure, un récit, un état psychologique, une confession - que ce soit dans une mélodie japonaise à la flûte, un offertoire grégorien dirigé par Dom Guéranger qu'il admire, les pages de Byrd, Couperin, Beethoven, Chopin, Debussy, Stravinsky et avant tout Bach - dès lors qu'il y trouve une expression juste en un langage maîtrisé, inventif et enraciné.
Lecteur de Valéry comme du Traité d'Harmonie de Schoenberg, admirateur d'une abbaye romane comme de Michel-Ange : tout un monde passera par sa prodigieuse virtuosité au piano dont seuls ses proches amis ont été gratifiés.
Mais c'est l'orgue qui a sollicité toute son attention. Il a eu très tôt conscience d'une question majeure et négligée : comment un instrument statique peut-il être expressif, si la musique est autre chose que la mise en ordre de quelques vibrations sonores sans signification ?
Il s'en est expliqué dans son ouvrage " Bach et la machine-orgue ". Puis, le devant à ses lecteurs, ce furent des disques mémorables dont les principes d'interprétation se trouvent dans " Bach, les Psaumes. Passions, Images et Structures dans l'Oeuvre d'Orgue ". Les analyses musicales proposent avec la plus grande vraisemblance les paroles de tel Psaume exprimées par la partition. Ainsi certaines étrangetés d'écriture trouvent leur raison et leur sens. Dans un style magnifique, le Préambule rend compte de cette évidence : l'orgue de Bach est d'un prédicateur. En conséquence, si l'interprétation s'arrête à une subjectivité inculte ou rétive, il sera désormais indécent de traiter Bach en décorateur virtuose dont on ne saluera que la science réduite à une architecture désertée. Ceci pouvant, il est vrai, convenir en un temps où l'homme est devenu à la fois insignifiant et musicologiquement assisté.
A ce travail de fondateur, dont on sait que seul le temps en révèle la nécessité, il faut ajouter l'œuvre du compositeur.
Soit : une Messe pour orgue, solistes et foule, donnée jadis à St Jacques-du-Haut-Pas (Paris). Et l'édition d'œuvres pour orgue, parfaitement appropriées à l'instrument, avec de magnifiques inventions, tous les affects, de la tendresse à l'effroi, traduits par une écriture souveraine.
Il faut encore signaler sa réalisation de la Basse Chiffrée des " Leçons de Ténèbres " de F. Couperin, où tout un horizon musical restitué rend compte du texte ainsi magnifié.
Et d'une lecture exigeante, de haute science : une analyse de " L'Art de la Fugue ".
Tout récemment (2008), le Festival de Musique de Wissembourg a publié son dernier travail en collaboration avec Olivier Baur. Il s'agit d'une analyse approfondie de la Canzone en Ré mineur de J.S. Bach, hommage à Girolamo Frescobaldi.
Telle est l'œuvre de Pierre Vidal au long d'une soixantaine d'années vouées à la musique.
Ses capacités d'émerveillement, de pensée analytique, sa pratique des claviers font - pour qui sait encore entendre loin des conformismes marchands - une aventure toute de générosité et de passion, de commencements en commencements qui n'auront jamais de fin.
Michel Beaulieu (2006)+